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Les traces de l’indicible
Les photographies d’Emmanuelle Duron-Moreels relèvent avant tout d’une intuition. Si l’indicible ne peut s’exprimer avec le langage, il s’insinue dans l’image sous une forme invisible que nous suggère l’artiste.
Certaines oeuvres donnent effectivement lieu à une vision : non pas de ce qui est vu mais de ce qui est au-delà du cadre, que ce soit dans l’épaisseur de l’image, le lointain, ou dans un hors champ. Le travail s’inscrit dès lors comme autant de réalités qui s’entremêlent. Cette ambiguïté rend ses images particulièrement poétiques ; il ne s’agit pas là d’une simple représentation mais bel et bien d’un point de vue sensible qui offre au regardeur les pistes d’une lecture dépassant le cadre spatio-temporel.
De ce fait, ces images sont en suspens : elles ne figent pas un événement ou un paysage mais l’étendent dans un temps indéfini, comme en attente. Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’une des séries soit qualifiée d’ « attendants » par l’artiste. Ces personnages en groupe lui servent à suggérer un événement plausible mais encore invisible. C’est par leur disposition étrange, leur posture, qu’elle compose et cristallise un espace tout entier tendu vers l’imminence de cet événement. L’image révèle ainsi une mobilité latente – à l’instar de certaines séries d’Hiroshi Sugimoto présentant des salles de cinéma ou des horizons maritimes. Le cinéma et le devenir de ce qui est a priori une image fixe font d’ailleurs partie des préoccupations d’Emmanuelle Duron-Moreels.
En outre, son travail exprime une dimension renvoyant sans cesse au médium photographique. Les notions de vision et de suggestion inhérentes à ces oeuvres relèvent en effet d’un mouvement d’émergence de l’image photographique. Les éléments apparaissent sous une forme qui tient de la trace, et fonctionnent sur le mode d’une absence-présence – à l’instar d’une série reprenant le motif du clair-obscur.
Le monde saisi par Emmanuelle Duron-Moreels reste curieusement énigmatique : c’est dans cet interstice imperceptible qu’elle suspend l’espace pour lui conférer cette dimension temporelle si particulière.
Marc Bembekoff
in «Catalogue des artistes», Casa de Velàzquez, 2006